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Peut-on alterner entre présent et passé dans un récit ? Concordance des temps et narration

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    La Correction
  • il y a 3 heures
  • 6 min de lecture

Lorsqu’on rédige un récit, une question finit presque toujours par surgir : doit-on choisir entre le passé et le présent ? Et surtout, peut-on alterner entre présent et passé dans la narration sans commettre de faute ?


Le sujet de la concordance des temps est délicat. Il touche à la fois à la grammaire, à la clarté du texte, et à l’effet recherché par l’auteur. Un glissement mal maîtrisé entre les temps verbaux peut nuire à la lecture, mais certaines alternances, bien pensées, créent au contraire de la tension ou de l’immersion.


Cet article fait le point sur les règles à connaître, les erreurs fréquentes à éviter, et les libertés que l’on peut s’accorder, à condition de bien en maîtriser les effets. Nous distinguerons les fautes de concordance des temps des effets stylistiques légitimes. Car oui, on peut mélanger les temps dans un récit, mais pas n’importe comment.



La concordance des temps classique : un rappel utile


Dans la grammaire française traditionnelle, on parle de concordance des temps lorsqu'une phrase est composée de deux parties : une proposition principale et une proposition subordonnée. Le temps du verbe dans la subordonnée doit alors être compatible avec celui de la principale.


Par exemple, si la phrase principale est au passé, la subordonnée adopte aussi un temps du passé ou un temps qui lui correspond logiquement :


  • Il disait qu'il partirait bientôt.

  • Il disait qu'il partira bientôt. ❌ → Erreur de concordance : le futur simple est incompatible avec un verbe principal au passé.


  • Elle pensait qu'il avait oublié le rendez-vous.

  • Elle pensait qu'il a oublié le rendez-vous. ❌ → Erreur fréquente à l'oral ou chez les rédacteurs peu attentifs : le passé composé ("a oublié") entre en conflit avec le passé de la principale ("pensait"). Il faut ici le plus-que-parfait pour marquer l'antériorité.


Ces règles assurent la cohérence temporelle dans les phrases complexes.


Un principe fondamental à garder en tête : choisir un temps principal pour l'ensemble de son récit (le présent ou un temps du passé, généralement le passé simple) et s'y tenir, sauf effet stylistique volontairement assumé. C'est cette cohérence globale qui évite les glissements involontaires.



Quand le mélange des temps devient un choix stylistique


Dans les romans contemporains, notamment à la première personne, il est courant de passer du passé au présent. Pourquoi ? Pour plonger le lecteur dans une scène, l'y immerger totalement.


Prenons un exemple fictif :

Elle referma doucement la porte derrière elle. La pièce était plongée dans le silence. J'avance alors d'un pas, le cœur battant. Chaque ombre semble sur le point de bouger, chaque bruit me fait sursauter.

On passe ici d'une narration au passé externe à une narration au présent interne. Ce changement peut sembler abrupt si mal manié, mais il devient un véritable levier d'immersion lorsqu'il est justifié : focalisation sur l'expérience, tension narrative, impression de vivre la scène en temps réel.


Le présent de narration est souvent utilisé pour :


  • Donner du rythme ou de la tension ;

  • Renforcer l'effet de réalité ;

  • Marquer une transition mentale ou émotionnelle.



Modiano : quand l’alternance des temps donne voix au trouble identitaire


Chez certains auteurs comme Patrick Modiano, l’alternance entre passé et présent n’est pas un simple effet de style : elle reflète une oscillation intime entre mémoire et perception. Dans Quartier perdu, par exemple, le narrateur, de retour à Paris après vingt ans d’absence, éprouve un dépaysement profond : il ne reconnaît plus sa langue, sa ville, ni lui-même. Le récit alterne alors entre présent incertain, où tout semble étranger, et passé reconstitué, au fil des souvenirs qui remontent lentement à la surface.

"C'est étrange d'entendre parler français. À ma descente de l'avion, j'ai senti un léger pincement au cœur. Dans la file d'attente, devant les bureaux de la douane, je regarde les visages."

Ce passage illustre bien cette bascule stylistique. Le passé composé installe le souvenir, mais c’est au présent que le narrateur donne à voir ce qu’il ressent. Cette stratégie narrative rend compte d’un trouble identitaire, d’une mémoire fragmentée, voire d’une faille entre l’expérience présente et les souvenirs passés.


À travers cette oscillation, Modiano illustre une manière de figurer le vertige mémoriel et la perte de repères — ce qui montre que l’alternance des temps peut être un outil puissant au service de la narration.


Marguerite Yourcenar : une alternance maîtrisée


Dans Archives du Nord, Yourcenar mêle passé simple et présent dans une même séquence pour renforcer la tension entre l'évocation historique et l'immédiateté sensorielle :

« Ce soir-là, le 17 août 1874, sept jours seulement après son vingt et unième anniversaire, Michel s’habille soigneusement en civil, baise sa cuirasse et son casque comme un moine près de se défroquer baiserait sa coule, et va prendre à la gare de Versailles ce train de Paris qui faillit être si fatal à son père. Depuis le retour de la paix, les passeports n’étaient plus un problème. Il monta gare Saint-Lazare dans un wagon pour Dieppe, d’où il s’embarqua pour l’Angleterre. »

Cette alternance donne au passage une portée symbolique et sensorielle immédiate, tout en ancrant le personnage dans un récit historique structuré.



Ce que dit la recherche (Hélène Chuquet, Meta, 2000)


Une étude universitaire d'Hélène Chuquet met en lumière l'étendue de l'emploi du présent dans les récits en français, notamment dans la presse et la fiction. L'auteure y voit un outil de structuration narrative, utilisé pour marquer des transitions ou donner de la vivacité à une scène.


Contrairement à l'anglais, où le passage du passé au présent est plus rare à l'écrit, le français permet cette alternance grâce à une souplesse de repérage temporel. L'utilisation du présent dans un plan narratif révolu (par exemple, avec un repère temporel antéposé comme "hier") est parfaitement admise en français. Cette hétérogénéité temporelle devient alors un choix stylistique marqué, notamment dans les récits littéraires à la première personne, où l'effet d'immersion peut justifier de tels changements.


En revanche, lorsqu'elle est traduite en anglais, cette liberté peut heurter la lisibilité, car le récit en anglais repose sur des repères plus stricts, et le présent est réservé à des usages plus cadrés (proverbes, récit direct, etc.).


Cette analyse donne un appui théorique à l'idée que le mélange des temps est un procédé narratif pleinement assumé en français moderne, mais qu'il demande de la maîtrise pour être réussi.


Le présent historique : un outil à part entière


Le présent historique est une forme particulière d'alternance des temps. Il consiste à utiliser le présent pour relater des faits passés, comme s'ils se produisaient sous les yeux du lecteur.

En 1815, Napoléon débarque à Golfe-Juan. Il marche vers Paris, rallie les troupes, et entre dans la capitale sous les acclamations.

Ce choix vise à vivifier le récit, à accentuer l'immédiateté et à rendre les faits plus marquants. On le retrouve dans la littérature, le journalisme, ou les récits oraux. S'il est employé ponctuellement et avec cohérence, il constitue un outil stylistique efficace.



Les limites à respecter


Pour que ce mélange de temps fonctionne, il doit être clair et cohérent.


À éviter :

  • Les changements de temps sans logique ni justification ;

  • Un patchwork temporel rendant le texte confus ;

  • L'alternance dans une même phrase sans point d'appui clair ;

  • Des incises en décalage avec le temps du dialogue (par exemple : dialogue au présent avec une incise au passé).


À privilégier :

  • Des transitions marquées (changement de paragraphe, rupture de ton, introspection) ;

  • Un usage régulier dans le texte pour installer un rythme propre ;

  • Une intention claire : faire ressentir, plonger dans l'instant, ralentir ou accélérer la narration ;

  • Un usage adapté à la structure du récit (le passé simple pour les faits, l'imparfait pour l'ambiance, le présent pour l'effet de réalité).


⚠️ Une erreur fréquente chez les débutants


Beaucoup d’auteurs novices alternent entre passé et présent sans intention claire. Ce glissement est rarement volontaire : il résulte souvent d’un manque de réflexion initial sur le temps principal à adopter.

Le problème ? Une fois le manuscrit avancé, revenir en arrière pour harmoniser les temps devient un travail long, fastidieux et source d’erreurs.

Conseil : réfléchissez au temps narratif avant d’écrire. Le choix du présent ou du passé doit être cohérent avec le ton, le style et les intentions de votre récit.



Conclusion : une liberté qui exige de la précision


Mélanger les temps n'est pas une faute si cela répond à un objectif narratif. C'est même un des outils les plus puissants pour donner du relief à une voix, de la tension à une scène, ou du naturel à une narration à la première personne.

L'essentiel est de le faire en conscience, et de toujours garder en tête la lisibilité du texte. Le lecteur ne doit pas se demander pourquoi les temps changent : il doit le ressentir.


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